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Marie-Pierre Mazzarini : « Pour certains, c’est la mort de leur intermittence »

En cette période de confinement général, certains continuent d’exercer leur métier, comme les professionnels de santé ou le personnel des supermarchés. Pour d’autres, pas d’autres choix que de rester à la maison et de ronger son frein. C’est le cas des intermittents du spectacle. Marie-Pierre Mazzarini, directrice artistique, metteure en scène et comédienne de la compagnie « Entre les actes » à Metz, a accepté de répondre à nos questions. L’artiste messine nous explique les difficultés pour les personnes de sa profession en cette période de confinement.

Où étiez-vous lundi soir lors de l’allocution du Président de la République ?

Marie-Pierre Mazzarini : « J’étais devant mon ordinateur. Par rapport à l’annonce de confinement général, on en avait conscience pendant les jours qui précédaient cette annonce. Et là, lundi soir, d’un seul coup, c’est devenu une réalité. Une réalité qu’on a du mal à intégrer. J’ai trouvé cette allocution assez pathétique : le ton était solennel, il a répété que l’on était en guerre, des mots forts à l’adresse des soignants, du personnel hospitalier et du service public alors que, depuis deux ans, il a tout fait pour que le service public s’effondre malgré les appels au secours… Maintenant, c’est parti, on va rester chacun chez soi avec toutes les questions et l’angoisse que ça peut provoquer.

Pouvez-vous expliquez vos questions et cette angoisse ?

Les journées passent un peu « hors temps ». On ne regarde plus l’horloge. Par moment, le temps s’étire et semble très long, et parfois, on se dit « tiens, il est déjà l’heure-là ». Et le matin, on se demande parfois ce que l’on va bien pouvoir faire de sa journée… Pour le moment, j’ai pas mal de difficultés pour me concentrer sur mes lectures, sur mes livres en retard, à trouver du calme au niveau de mon cerveau.

« Pour certains, c’est la mort de leur intermittence »

Le gouvernement a annoncé des mesures pour que les intermittents du spectacle continuent de toucher des indemnités d’assurance chômage et continuent d’acquérir des droits pendant la phase de confinement. Qu’en pensez-vous ?

Disons que c’est un début. J’espère qu’il y aura d’autres mesures, parce que c’est vraiment insuffisant. Ces dates perdues durant cette période, on ne va pas pouvoir les retrouver après. Les dates annulées ne seront pas forcément reportées lors des prochaines saisons. C’est vraiment très paniquant, on est nombreux à perdre pratiquement la moitié de notre intermittence. Pour avoir communiqué avec d’autres collègues, on est tous largement en panique. Le printemps, c’est une des saisons les plus chargées pour la plupart d’entre nous. Mais surtout, le gros problème, c’est la date anniversaire des intermittents. Dans un mois ou deux, on doit avoir atteint nos 507 heures annuelles. Je connais des metteurs en scène et des comédiens qui perdent déjà 300 heures à cause du confinement. Même si on repousse cette date anniversaire, ils n’auront jamais le temps de rattraper ces heures. Pour certains, c’est la mort de leur intermittence. Après, ça ne veut pas dire qu’on ne pense qu’à nous, que notre indignation s’arrête à notre secteur uniquement. Il y a des indépendants, des intérimaires, des réfugiés, des personnels hospitaliers…

Et pour vous, comment ça se passe ?

J’ai beaucoup d’heures qui sautent en mars. J’ai une représentation reportée : « Une femme d’ici« , avec Sadia Boubekeur, originaire des quartiers de Guénange. On a monté ce spectacle avec le centre social Louise Michel de Guénange et on devait jouer à la MJC de Woippy Saint-Eloy le 9 avril. Pour le reste, ce sont des interventions pédagogiques, des ateliers avec l’Éducation Nationale qui sont annulés. Je ne sais pas si ça va être payé par les structures, on verra bien.

« On espère que cet argent descendra jusqu’au plus petit de ce monde culturel »

Quelles autres mesures pourraient être prises pour les intermittents du spectacle ?

Je ne suis pas une experte, je ne sais pas… Mais j’ai lu un texte de Samuel Churin (acteur français connu pour son action au sein de la Coordination des Intermittents et Précaires), qui est beaucoup plus au fait et pertinent que ce que je pourrais dire. Il dit qu’il faut que les contrats qui auraient du avoir lieu soient honorés pour que les intermittents perçoivent des salaires et puissent cotiser. Le ministère de la Culture a annoncé une aide de 22 millions d’euros pour les différents secteurs culturels. On espère que cet argent descendra jusqu’au plus petit de ce monde culturel, jusqu’aux toutes petites compagnies comme la nôtre. Nous, nous ne travaillons pas avec des subventions. Nos interventions sont facturées et c’est cet argent qui nous permet de nous verser un salaire. Donc sans ça, on espère que l’argent débloqué par le gouvernement puisse aussi profiter à nous, tout petit, pour sauver le bateau qui est en train de couler.

Sinon, pendant le confinement, quelles sont vos occupations ?

Il y a eu un premier temps où nous étions en contact avec d’autres compagnies partenaires pour discuter de nos projets et de nos interventions. On a réfléchi sur la façon de procéder, les déclarations, la paperasse… J’ai mis un peu d’ordre dans le côté administratif de la compagnie pour gérer le plus urgent. Ensuite, je vis seule, donc  de la lecture, je regarde aussi beaucoup les informations, peut-être trop… Les réseaux sociaux aussi, pour garder le contact avec les uns et les autres.

Si vous deviez conseiller une lecture ?

Là, j’ai lu le hors-série de Télérama sur Boris Vian, qui m’a fait beaucoup de bien (rires). J’ai terminé Gioconda, de Nikos Kokantzis : un petit bijou ! Après, je lis beaucoup de papiers d’intellectuels, des articles qui circulent sur internet, des réflexions intéressantes…

Propos recueillis par Florian Tonizzo

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